Quitter sa campagne : Entre excitation et appréhension

Publié par Lucie Lebreton, le 6 juillet 2023.

        Ma petite soeur Maëlle s’apprête à quitter son petit village normand pour la ville. C’est à l’âge de 18 ans qu’elle prend son envol pour Caen, et elle n’est pas la seule. Selon l’Insee, 20 % des jeunes ruraux partent s’installer en ville une fois la majoritée arrivée (1). A l’appréhension de quitter le domicile familial, s’ajoute celle de changer d’environnement. 

 

        Les résultats du bac viennent de tomber pour Maëlle. C’est officiel, elle est bachelière, avec la mention bien en prime. L’avenir se dessine de façon plus certaine devant ses yeux. Au mois de septembre elle prendra la route, direction Caen, afin de débuter ses études.Je vais en licence sciences de la vie LAS (Licence accès santé) pour tenter kiné ”, explique-t-elle, avec une certaine pointe de trac dans la voix. 

        Cette nouvelle étape scolaire coincide également avec un grand changement de vie. Après avoir grandi 18 ans dans un petit village de 700 habitants, dans le sud de la Manche, elle se prépare à déménager en ville. Un bouleversement donc mais “je ne sais pas trop à quoi m’attendre, j’y ai jamais trop pensé”, m’avoue-t-elle. 

 

Déménager en ville : Un choix ?

        Lorsque je demande à Maëlle si c’est un choix pour elle de s’installer en ville, elle me répond en premier temps oui, d’un ton assuré, mais le silence s’est vité installé. Après quelques secondes de réflexion, elle se reprend : “Mais non, non ce n’est pas un choix. C’est pour mes études que je pars, donc je n’ai pas le choix.” La décision de partir étudier en ville ne serait donc qu’un choix en apparence. 

        En effet, l’offre de formation en études supérieures en milieu rural  est limitée. Certains lycées proposent des formations courtes, à l’image des bts (Brevet de technicien supérieur). Cependant, les universités sont en ville. 

        La poursuite des études supérieures est la principale cause du déménagement des jeunes ruraux vers les zones urbaines. Selon l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) c’est le cas de 93% d’entre eux (2). 

        Pourtant, certains étudiants refusent de faire ce choix. 25 % des familles de milieu rural envisagent des études longues pour leurs enfants, contre 45% des familles vivant  milieu urbain (3). Et pour cause, déménager en ville implique plusieurs difficultés pouvant être décourageantes. 

        Le premier obstacle est financier. Le CESE (Conseil économique social et environnemental) a publié en rapport en 2017 mettant en lumière que « l’aspect financier est un frein à la poursuite des études supérieures, notamment quand elles nécessitent le départ du foyer parental. » (4)  Les jeunes ruraux sont donc d’autant plus touchés par cette difficulté, car ils sont dans l’obligation de quitter leur domicile. Plusieurs frais sont alors à prendre en compte, à l’image du loyer ou des transports. 

        Le manque d’accessiblité du territoire rural est également une difficulté à surmonter. Déménagement rime avec nouvel appartement, et nouveau logement rime avec déplacement. Les futurs étudiants doivent notamment se rendre sur place afin d’effectuer les visites. C’est une tâche qui s’avère être compliquée lorsque l’on vit dans un village reculé, avec deux bus qui circulent dans la journée.

        Enfin, l’aspect psychologique ne doit pas être négligé. Une étude menée en 2019 par l’institut Jean Jaurès démontre que 28% des jeunes ruraux se disent inquiets à l’idée de s’installer en grande ville alors que cette inquiétude ne touche que 18% des jeunes citadins (5). La ville est un lieu plutôt méconnu lorsque l’on grandit à la campagne. “Ca m’arrive peu d’aller dans des grandes villes…”, me confie Maëlle, presque honteuse. La peur de l’inconnu se mêle à la méconaissance. “A la campagne c’est calme, il n’y a jamais personne dans les rues le soir. C’est ça qui me fait peur en ville en fait. J’ai peur d’être opressée”. Un temps d’adaptation est bien entendu nécessaire. Vivre dans une ville de plus de 100 000 habitants, lorsque l’on a grandit dans une maison entourée de champs, ça s’apprend.

 

“ Vivre la vie étudiante à fond ”

        Malgré ces obstacles, Maëlle a décidé de tenter l’expérience. “En vrai, je l’aurai tenté dans tous les cas. J’ai quand même envie d’aller voir et puis de vivre la vie étudiante à fond quoi !”, décrit-elle le sourire aux lèvres et les yeux remplis de malice. 

        L’inconnu l’inquiète. Elle a peur de mal y vivre, de ne pas supporter le manque de calme. Le calme, ce terme qu’elle a répété tout le long de notre discussion. C’était d’ailleurs son critère clé lors de sa recherche d’appartement. “Je suis contente, la rue dans laquelle je suis, elle est calme. J’aime pas le bruit.”

        Pourtant, je perçois dans son discours une certaine attirance pour la ville. L’accessibilité est la première chose qui lui vient en tête. Le ton rêveur, le visage illuminé, elle m’exprime sa hâte de “pouvoir faire ce que je veux quand je veux”. Je ne peux m’empêcher de faire ma vieille dame, et de lui faire remarquer que la réalité n’est pas aussi rose. Mais peu importe, cela ne l’atteint pas. “Je serai quand même plus libre”, réplique-t-elle. Là dessus, elle marque un point. Bus, tram, vélo, train. Le choix des transports sera bel et bien plus garni. 

        Elle évoque également son envie de rencontres, d’activités, de découvertes. “Ce qui va me soulager en ville, c’est de pouvoir me promener sans croiser des gens que je connais. Parce que dans notre campagne, tout le lycée va dans un seul bar et là tu es sûre de croiser des gens !” 

 

        Sera-t-elle charmée par l’effervescence des villes, ou regrettera-t-elle le silence imposant de son jardin ?  Dans deux mois, elle sera fixée, et si ça ne va, elle pourra toujours rentrer en bus… elle n’en aura que pour 7 h !

Sources :
  1. INSEE, "Entre ville et campagne, les parcours des enfants qui grandissent en zone rurale,", 2022
  2. INSEE, "Entre ville et campagne, les parcours des enfants qui grandissent en zone rurale,", 2022
  3. Claudine Pirus, "Le parcours et les aspirations des élèves selon les territoires. Des choix différenciés en milieu rural ?", dans Education et Formations, n°102 Juin 2021.
  4. CESE, "Place des jeunes dans les territoires ruraux", 2017
  5. Institut Jean Jaurès, "Jeunes des villes, jeunes des champs : La lutte des classes n'est pas finie", 2019

Thèmes couverts par l'article :

Ecrit pour :