Aimer dans une autre langue

Publié par Lucie Lebreton, le 29 décembre 2022.

        Si l’on en croit l’adage populaire, l’amour est aveugle et ne se soucie ni de la nationalité, ni de la culture : l’amour n’aurait donc pas de frontières. Ce point de vue semble être confirmé par les statistiques nationales : en 2019, 15,3 % des mariages célébrés en France étaient des mariages mixtes (1), c'est-à-dire une union dans laquelle les personnes impliquées sont de nationalité, de religion ou de culture différentes. 

        La communication est le premier obstacle à surmonter afin d’assurer l’équilibre de la relation. Le choix de la langue est crucial. Une langue commune aux deux membres du couple peut être choisie, le plus souvent l’anglais. Dans d’autres cas, l’une des deux personnes parle la langue de son ou sa partenaire. C’est le cas de Christophe et Jacintha, un couple franco-néerlandais. Jacintha parlait déjà français.

        Pourtant, une fois ce choix effectué, les difficultés demeurent. Exprimer son ressenti et ses sentiments dans une langue étrangère est un véritable défi. Il est vrai que les émotions sont universelles, mais la manière de l’exprimer diffère d’un pays à l’autre. Un terme peut être spécifique à une langue, et être difficilement ou maladroitement retranscrit.

        Pour la chercheuse Kristen Lindquist, « toutes les familles linguistiques ne voient pas les émotions de la même façon » (2). Par exemple, le terme « énervé » a grandement posé problème à Jacintha. Elle n’arrivait pas à comprendre la portée de ce mot et à trouver l’équivalence de cette émotion dans sa langue maternelle : « Une langue il faut la sentir, ça prend du temps, ce n’est pas inné ». Mais au-delà de ces langages formels, les couples binationaux parviennent à créer leur propre langue. C’est le cas pour Christophe : « Je me suis adapté, je parlais lentement, j’utilisais des notions simples. Et puis, il y a le langage non verbal aussi ».

« Nous avons créé notre propre culture » 

        La sphère culturelle n’échappe pas à l’adaptation et au compromis. La socialisation primaire de l’individu est bousculée et les évidences sont déconstruites.

        Des cultures avec des valeurs et des normes différentes se confrontent (3). Cette rencontre façonne la socialisation secondaire des individus et de nouvelles règles se créent. Les membres d’une union mixte traversent ainsi une première phase de déculturation, dans laquelle les individus se détachent de leur identité culturelle. Ensuite une phase d’acculturation arrive, dans laquelle les personnes assimilent la culture qui leur est étrangère. Cette confrontation amène l’individu à remettre en cause ses propres évidences, et peut parfois aboutir à des situations conflictuelles.

        Les stéréotypes sur la culture de l’autre sont aussi un frein à la plénitude de la relation. En fonction du degré d’attachement à son groupe d’appartenance, l’individu sera plus ou moins enclin à chercher un compromis. Nour, une Française, a été confrontée à ces difficultés lors de sa rencontre avec Altan, de nationalité serbe. La religion a été la première difficulté : « par le prisme de la religion, nous ne partagions pas la même vision. Il était musulman, et moi je suis athée. Il insistait vraiment pour qu’on se marie ». Ce début de relation était peu propice aux compromis, chacun étant très attaché à sa propre culture : « Pour lui il n’y avait pas de négociations possibles, jamais il ne quitterait la Serbie. »

        Mais ces obstacles peuvent être surmontés. Pour Jacintha, « la réussite d’une union mixte, demande de la patience, du compromis. Il faut discuter, s’adapter, créer sa propre culture ». Certains couples décideront de privilégier l’une des deux cultures, d’autres préféreront en mélanger différents aspects. Jacintha et Christophe ont « créé leur propre culture », mêlant des caractéristiques françaises et néerlandaises. « Par exemple, on fête la Saint Nicolas et Noël ! Pour les repas on s’adapte aussi, je me suis habitué à manger des sandwichs à midi », affirme Christophe. La déculturation est un défi qui peut paraître insurmontable, mais qui une fois traversé, aboutit à «  un échange riche et fabuleux », conclut Yacintha.

Sources :
  1. INED, Tableau évolution des mariages mixtes en France métropolitaine, INSEE, mis à jour en 2021.
  2. AFP « C’est quoi l’amour ? Cela dépend de la langue », Sciences et avenir, 2019.
  3. HABJI Mathieu, VERIEN Delphine, « Le Mariage mixte. Du désir à la haine », Vie sociale et traitement, vol. 76, no. 4, 2002, pp. 64-67.
  4. BORDOGNA Mara Tognetti, « Les mariages mixtes, un laboratoire transculturel : à partir d'une recherche de terrain », L'Autre, vol. 7, no. 1, 2006, pp. 79-98.
  5. BENSIMON Doris, LAUTMAN Françoise, « Quelques aspects théoriques des recherches concernant les mariages mixtes », Ethnie, 1974

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