L’éducation : une branche compétitive des relations internationales

Publié par Lucie Lebreton, le 22 décembre 2022.

“Former les citoyen(e)s de demain », voici la mission que se donne l’éducation. Les systèmes éducatifs sont fondamentaux : de quel pays viennent les élèves les plus performants ? Différents classements tentent de répondre à cette question, tout en s’intéressant à l’équité et au bien-être des élèves. Cependant quelque chose reste en suspens. Ces classements semblent tout de même mettre en compétition le bonheur des enfants, ce qui pose de réelles questions éthiques.

 

Plusieurs classements existent afin de déterminer le meilleur système éducatif. Ils visent à évaluer les compétences d’enfants de différents pays. Cela doit permettre d’établir un état des lieux et de se questionner sur l'efficacité du système.

La compétition peut permettre aux pays de s’inspirer des autres systèmes. Cela peut servir « d’électrochoc », afin de trouver d’autres méthodes éducatives. Mais au-delà de cette notion de performance, les classements peuvent également permettre de souligner les inégalités sociales au sein des systèmes. En effet, certains classements mettent l’accent sur l’équité.

Toujours est-il que ces classements internationaux sont des enjeux fondamentaux. Cela reste une compétition, qu’on le veuille ou non. L’enjeu est éducatif, social, mais n’oublions pas que cela est également un atout pour les grandes puissances. L’engouement de la presse le jour des résultats, en témoigne. C’est notamment le cas de la presse française témoignant parfois de sa déception. En 2018 après les résultats du classement PISA, Le Figaro déclare “On peut quand même se dire qu’on est la sixième ou septième puissance mondiale et que l’on pourrait faire beaucoup mieux”. (1)

Le classement le plus connu est le classement PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves. C’est un outil créé par l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques, permettant de mesurer la performance des systèmes éducatifs. (2)

Les enquêtes ont lieu tous les trois ans sur 80 pays. Un échantillon d’un million d’enfants de plus de 15 ans est regroupé dans chaque pays, afin de tester leurs compétences en lecture, en mathématiques et en sciences. En parallèle, les enquêteurs regroupent des informations concernant le milieu social des élèves, leur bien-être physique, leur santé mentale.

Une organisation internationale indépendante, l’IEA, International Association for the Evaluation of Educational Achievement, est à l’origine de deux autres systèmes d’évaluation : le classement PIRLS et TIMSS (3). Le premier se concentre sur les compétences en lecture des élèves de CM1. A l’inverse, l’enquête TIMSS se charge d’analyser les connaissances en sciences et en mathématiques des élèves de CM1 et de quatrième.

Ces deux classements évaluent les compétences des enfants, alors que le classement PISA prend le parti d’évaluer les individus lors de l’adolescence. Cependant, bien qu’il s’éloigne un peu de la limite chronologique de l’enfance, cela met en lumière l’éducation de l’individu. Cela reflète ce qu’il a acquis lors de son parcours éducatif, dès son plus jeune âge.

Mais peu importe l’âge du test, cela donne un air de compétition à l’éducation des jeunes enfants. Ces classements vont nourrir et orienter les politiques éducatives, et les mentalités. Cette volonté d’évaluer les jeunes citoyen(ne)s du monde, influe forcément sur l’enfance des petits bouts de chou du monde entier.

Le système éducatif, la vitrine du pays

L’annonce des résultats rappelle les résultats d’un tournoi de football. Non seulement ces classements permettent de souligner les capacités des futur(e)s citoyen(ne)s, mais cela met également en lumière certaines failles du système scolaire. Les inégalités, l’accompagnement des enseignants, les problèmes de discipline, sont également pris en compte. Cela permet de donner une certaine image du pays.

Si l’on se base sur le haut du classement, on s’aperçoit que ce sont les pays asiatiques qui dominent. La Chine ressort en tête du classement PISA de 2018. Elle est suivie de près par Singapour.

Jean François Sabouret, sociologue spécialiste du Japon, donne son interprétation quant à cette prédominance (4). Sa première explication est liée à l’arrivée de ces puissances sur la scène internationale. Il y a la volonté de s’imposer, de battre les autres puissances. Ainsi, l’accent est mis sur la performance, ce qui oriente les politiques publiques. C’est notamment le cas de Singapour. Lorsque les enfants ont 13 ans, ils doivent passer un test afin de déterminer dans quel établissement ils passeront le reste de leur scolarité. Le contexte culturel joue également une grande importance dans la construction d’un système éducatif. Ces pays connaissent un grand respect pour le travail, et un certain goût de l’effort. Ces traits spécifiques aux pays asiatiques sont ancrés dans nos esprits, preuve que l’éducation est une vitrine.

Cependant, les indicateurs concernant le bien-être des enfants n’est pas au vert. Entre 2017 et 2018, 250 enfants au Japon (personnes de moins de 18 ans) se sont donnés la mort. En rentrant dans le détail, on remarque que 6 sont des élèves d’école primaire 84 collégiens, et 160 lycéens. En France, en 2012 185 enfants se sont suicidés. Les chiffres ne sont pas si éloignés, mais 155 de ces individus étaient des adolescents (5). Ainsi le suicide infantile au Japon témoigne d’une anormalité. L’école n’est pas la seule variable explicative de cet effroyable chiffre, mais nul doute qu’elle y soit totalement étrangère.

Le système éducatif des pays nordiques sert également leur réputation. Les pays, tels que la Finlande, la Norvège, la Suède, peuvent donner l’image d’une école bienveillante et respectueuse envers l’enfant, parvenant tout de même à être très performante. Les dispositifs mis en place sont innovants : absence d’évaluation, suivi personnalisé, « anti autoritarisme ». Cette éducation fait rêver. Il ne s’agit pas de remettre en cause ce système qui, il est vrai, porte ses fruits. Seulement, il ne faut pas nier que l’éducation des enfants norvégiens, finnois, est une bonne publicité.

L’impossible mesure de l’épanouissement des enfants

Même si le stress, la santé psychologique, les inégalités sont pris en compte, le bonheur n’est pas réellement mesurable. L’épanouissement serait plutôt une problématique internationale. Un mystère impossible à résoudre. Les classements peuvent même mettre ce bonheur en péril.

L’injonction à la performance, le fait de classer les élèves, cet esprit compétitif, n’auraient pas forcément leur place dans l’éducation. Le système scolaire, peu importe sa nationalité, son originalité, ses forces, ses failles, a un rôle fondamental dans la construction d’un enfant.

L’effet Pygmalion, par exemple, est universel. Il n’est pas cantonné à un seul pays, une seule puissance. Cet effet est tiré d’un mythe (6). Cela a été repris par le psychologue Rosenthalt, et désigne l’idée que si l’on croit fort en quelque chose, cela se réalisera. Cet effet peut être appliqué à bien des domaines, notamment le domaine éducatif. Les préjugés, la « première impression », l’attente envers un élève, pourraient influencer le comportement d’un enseignant envers son élève. Cela influencerait donc le comportement de l’enfant, qui réaliserait les « préjugés » de l’enseignant. On parle de prophétie auto-réalisatrice.

Une expérience a été réalisée par Rosenthalt dans une école publique élémentaire, nommée Oak School. Les sociologues ont fait croire à l’équipe pédagogique qu’ils venaient tester une nouvelle méthode permettant de prédire le « démarrage intellectuel » des élèves. Les élèves ont donc été évalués. A la suite de ces tests, les résultats ont été transmis aux professeurs. Les sociologues ont dressé une liste d’élèves qui auraient un grand potentiel. Cependant, ces résultats ont été attribués au hasard. Cette expérience avait pour but de montrer l’effet des « préjugés positifs ». Un an après, les élèves étant considérés comme ayant du potentiel, ont passé un test de QI. En parallèle, l’autre partie de la classe a également passé ce test.

Les résultats parlent d’eux même. Les élèves du groupe privilégié ont un QI qui a augmenté de 20 points de plus que l’autre groupe. Il semblerait donc que les préjugés des enseignant(e)s aient une influence dans l’attitude adoptée. Cet effet pourrait être amplifié par cette injonction à la performance. Cette pression des classements, les attentes qui planent sur les enseignants, entraînent cette atmosphère de compétition. Cela peut amener les enseignant(e)s à chercher la performance avant tout.

Le système éducatif contribue donc à la construction de l’enfant. Il lui donne les clés, reflète une certaine image de soi, ce qui le suivra tout au long de sa vie. Mais ce système éducatif est un enjeu fondamental des relations internationales. Alors, classements internationaux et épanouissement personnel, est-ce vraiment compatible ?

Sources :
  1. Marie Estelle Pech et Caroline Beyer “Niveau scolaire : la France stagne dans le classement PISA”, Figaro 2019
  2. Rapport de l’OCDE “Résultats du PISA 2015 (volume III) : Le bien-être des élèves”, 2018
  3. “Présentation des enquêtes : PISA et TIMSS”, le CNAM CNESCO Centre National d’études des systèmes scolaires
  4. Meddy Mensah, “Pourquoi les écoliers asiatiques réussissent mieux que les autres “, Le Figaro, 2013
  5. La rédaction d’Allodocteurs.fr, “Au Japon, le suicide des enfants au plus haut depuis 30 ans”, Franceinfo, 2018
  6. Pygmalion serait un sculpteur de l’Antiquité grecque. Il sculpta une jeune femme. Il en tomba amoureux. Aphrodite fut touchée par cette passion et la transforma en une p

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